14 août 2010

Le paquebot polonais Batory (1935)


Avant la seconde guerre mondiale, la Pologne possédait, comme les autres pays d'Europe, sa compagnie nationale de navigation pour laquelle le trafic transatlantique représentait une part importante tant sur le plan financier que sur celui du prestige. Créée en 1930 par l'état polonais sous le nom de Polska Zegluga Morska (Polskie Linie Oceaniczne), elle était connue en Europe de l'ouest et aux États Unis comme la Gdynia America Line puis, à partir de 1950, la Polish Ocean Line. Sa ligne principale desservait New York, au départ de Gdynia avec escales à Copenhague et au Canada (les ports variant en fonction de la saison).

C'est logiquement pour cette liaison que la compagnie fit construire ses deux plus beaux navires, les jumeaux Pilsudski et Batory, tous deux aux Chantiers réunis de l'Adriatique, à Monfalcone, en Italie.

Le premier navire de la paire n'eut qu'une brève existence. Lancé le 19 décembre 1934, il assura son premier départ du port de la Baltique le 15 septembre 1935. Placé sous gérance britannique dès le début des hostilités pour assurer des transport de troupes, il coule le 26 novembre 1939 après avoir heurté une mine au large de l'embouchure de la Humber lors d'un voyage Newcastle - Australie.

Heureusement, son frère connaîtra une existence plus longue, ce qui ne veut pas dire plus paisible.



Lancé le 3 juillet 1935, Batory assure son premier départ le 18 mai 1936. L'arrivée devant Manhattan du nouveau navire aux cheminées jaunes ornées d'un bandeau rouge est fêtée comme il se doit. Les traversées suivantes se déroulent sans problème et le navire devient l'un des habitués des piers new-yorkais. La réussite est au rendez-vous, bien que des incendies de faible importance déclarés dans la salle des machines troublent parfois la quiétude des traversées.

Ces années calmes prennent fin avec la guerre en Europe. Le navire arrive à New York le 5 septembre 1939, la nation dont il porte le pavillon est envahie, la guerre a éclaté en Europe. Comme beaucoup d'autres, le beau paquebot va faire son devoir.



Sous pavillon britannique et géré par Lamport & Holt, il transportera des milliers de soldats d'un point du globe à l'autre. Dans un premier temps, il reste sur la côte est-américaine puis gagne la Clyde à la fin de l'année. Il y est aménagé en transport de troupes. Le début de l'année 1940 le voit en Méditerranée, avant qu'il ne retourne à Liverpool en février puis participe à l'opération de Norvège en avril et mai 1940. À son retour, il participe en juin 1940 à l'évacuation des troupes françaises depuis les ports atlantiques (neuf autres navires polonais participent à l'évacuation des Polonais et autres alliés, bloqués sur le territoire français en 1940 : Sobieski, Batory, Wilno, Katowice, Rozewie, Korman, Chorzow, Poznan, Oksywie et Korman). Mais c'est au cours du mois de juillet que va se dérouler l'épisode le plus insolite de cette période.

La Pologne a une histoire particulièrement dense. Au fil du temps, des trésors ont été accumulés dans ses musées, en particulier à Cracovie. Après l'invasion allemande, il apparut urgent de mettre certaines de ces œuvres d'art à l'abri de la convoitise de l'occupant. Parmi les trésors se trouvent le Szczerbiec (le sabre utilisé lors des cérémonies de sacre des rois de Pologne de 1320 à 1764, des tapisseries précieuses, un exemplaire d'une bible de Gutenberg (la Pelplin Bible) ainsi que des autographes musicaux de Frédéric Chopin, jugés particulièrement précieux par les musicologues. À tout cela, s'ajoute une cargaison d'or de la banque de Pologne. Un incroyable voyage commence qui utilisera bon nombre de moyens de transport (péniches pour remonter la Vistule, trains, camions…) afin d'apporter le trésor en Roumanie, alors neutre. Il ne s'agit là que d'une étape, la prudence voulant que les œuvres soient encore éloignées. C'est pourquoi on leur fait gagner le port de Constantza sur la mer Noire. Elles y embarquent sur le cargo roumain Ardeal à destination de Malte puis finalement de Marseille, atteint en janvier 1940. Durant quatre mois, les trésors sont à Aubusson, mais la France va tomber à son tour. Le périple des œuvres d'art reprend, à destination de Bordeaux où elles sont embarquées le 17 juin 1940 sur le cargo polonais Chorzow afin de leur faire gagner Falmouth. Il faut maintenant leur faire traverser l'Atlantique car le gouvernement canadien a donné son accord pour en assurer la conservation tant que durera le conflit. Après un bref séjour à l'ambassade polonaise de Londres, c'est par train qu'ils gagnent Greenock. C'est logiquement au Batory que revient la mission de transporter les trésors de son pays. Le 4 juillet 1940, Batory quitte Greenock sous forte escorte de la Royal Navy. À l'issue d'une traversée calme, il parvient à Halifax le 12 juillet 1940. Là aussi le débarquement de la cargaison se fait, comme on peut l'imaginer, sous haute surveillance. C'est par train que le voyage s'achève à Ottawa. Le trésor est en sécurité; il va rester au Canada pendant de nombreuses années avant de revoir la Pologne.

Par la suite, revenu en Europe, Batory va sillonner toutes les mers transportant des troupes canadiennes, néo-zélandaises, britanniques. Ainsi, il participe activement aux préparatifs des actions méditerranéennes en 1942. En 1944, le général de Lattre de Tassigny, commandant l’armée B et son état-major, ainsi qu’une compagnie de transmissions, voyageront sur le Batory (qui porte la marque du général en tête de mât), avant de débarquer sur les plages provençales.

Enfin, la paix revient. Pour Batory, le retour à la vie civile ne se fait qu'en 1946, il retrouve son pavillon d'origine. Reconverti en paquebot à Anvers, il retrouve aussi des installations confortables et peut reprendre son service transatlantique au départ de Gdynia en avril 1947. Mais les choses ne sont plus comme avant, les conditions politiques européennes ont été modifiées. La guerre est toujours mondiale mais plus insidieuse ; on l'appelle maintenant "guerre froide". À New York, quelques incidents se produisent. Lors de certaines escales, les dockers, ne voulant pas servir un navire portant un pavillon du bloc de l'est, refusent de décharger le navire. De même, il est parfois difficile pour la compagnie d'y trouver des ouvriers pour effectuer quelques réparations.

Pour mettre fin à ces problèmes (qui ne donnent pas l'image voulue par la compagnie), le port de New lui est interdit. Batory est transféré sur la route de l'Inde (Gdynia - Southampton - Suez - Bombay - Karachi). Le premier départ a lieu le 18 août 1951. Mais la crise de Suez en 1956 et la fermeture du canal lui valent un nouveau changement d'affectation. Après un nouveau réaménagement de ses installations, il reprend, au mois d'août 1957, la route de l'Amérique mais à destination du Canada cette fois, sur la ligne Gdynia - Copenhague - Southampton - Québec - Montréal (ou Halifax en hiver). Les années qui passent et l'arrivée d'un moyen de transport plus rapide ont raison du paquebot. À partir de juin 1969, il est utilisé comme hôtel flottant dans le port de Gdansk puis deux ans plus tard, à l'issue d'une carrière mouvementée, le vieux navire parvient à un chantier de démolition de Hong Kong le 11 mai 1971.





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