17 janvier 2011

17 janvier 1941, Koh-Chang, une victoire navale française.

La bataille navale de Koh-Chang, bien que peu connue du grand public, est; me semble-t-il, la seule bataille navale remportée par une escadre française au cours du XX éme siècle.

Depuis la défaite de la France face à l'Allemagne en juin 1940, l'Indochine française très isolée, est soumise à une politique de pression et d'intimidation de la part du Japon. Les forces japonaises, engagées dans la conquête des provinces chinoises du Yunan et du Kouang-Si, bordent la frontière nord de l'Indochine, le Japon tente d'obtenir des facilités pour ses troupes au Tonkin. Un accord est en vue mais une attaque japonaise retarde sa conclusion à la fin septembre 1940 ; la Thaïlande profite de ces difficultés politico-militaires, pour revendiquer des territoires sur la rive gauche du Mékong, avec le soutien du Japon.
La France demande le soutien des américains qui se fait attendre, les États Unis ménageant encore les japonais, les incidents avec les thaïlandais se multiplient, provoquant un état de guerre larvée. Le 15 janvier 1941, devant l'aggravation de la situation, et afin d'anticiper une intervention de la marine thaïlandaise, qui ne saurait tarder, une opération navale contre celle ci est approuvée par l'amiral Decoux, gouverneur général de l'Indochine. L'amiral Terraux, commandant de la marine en Indochine, en confie l'exécution au capitaine de vaisseau Bérenger, commandant le croiseur Lamotte-Picquet.

La France entretient une force navale en Indochine composée :
- du croiseur Lamotte-Picquet de 8 000 tonnes du type Duguay Trouin, d'une série de trois : Duguay Trouin, Primauguet et Lamotte-Picquet; construit à Lorient, lancé le 21 mars 1924 et entré en service en septembre 1926; longueur 181,3m, largeur 17,5 m, tirant d'eau 6,3 m; puissance 102 000 cv, vitesse 34 noeuds; 4 hélices, équipage 27 officiers et 551 hommes; armé de 8 canons de 155mm, 4 x 75mm, 12 x 13,2mm et 12 tubes lance torpilles; 2 avions.

Le croiseur Lamotte-Picquet en 1941 en pleine vitesse à la bataille de Koh-Chang.

- de deux avisos coloniaux de 2 000 tonnes du type Bougainville, d'une série de huit :
dont Dumont d'Urville et Amiral Charner, construits par les chantiers de la gironde à Bordeaux, le Dumont d'Urville a été lancé en mars 1931 et est entré en service en 1932; l'Amiral Charner lancé en octobre 1932 est entré en service en 1933, d'une longueur de 103,7 m, largeur 12,70 m, tirant d'eau 4,5 m; puissance 3 200cv, vitesse 15,5 noeuds, 2 hélices, équipage 135 hommes, armés chacun de 3 canons de 138mm et 4 x 37mm.

L'aviso colonial Amiral Charner; le Dumont d'Urville était semblable.

- de deux avisos anciens :
- le Tahure, du type Amiens de 644 tonnes, entré en service en 1920, d'une série de 31 à l'origine, mais dont il ne restait que 11exemplaires en service en 1939, longueur 72 m, largeur 8,40m, tirant d'eau 3,10 m, puissance 5 000 cv, vitesse 19 noeuds, 2 hélices, équipage 103 hommes, armé de 2 canons de 138mm et 1 x 75mm.

L'aviso Tahure

- la Marne, du type Marne de 601 tonnes, entré en service en 1917, d'une série de 6, dont 3 étaient encore en service en 1939, longueur 78 m, largeur 8,9 m, tirant d'eau 3,40 m, puissance 4 000 cv , vitesse 20 noeuds, 2 hélices, équipage 107 hommes, armé de 4 canons de 100mm et 2 x 65mm.

L'aviso La Marne à Saigon


La marine siamoise était loin d'être négligeable et a été renforcée d'unités récentes construites au Japon et en Italie entre 1935 et 1938. Elle comprend :
- deux gardes cotes cuirassés de 2 265 tonnes: Ahidea et Dombhuri, entrés en service en 1938, longueur 75,10 m, largeur 13,40 m, tirant d'eau 4,10 m, puissance 5 200cv, vitesse 15,5 noeuds, 2 hélices, équipage 155 hommes, armés de 4 canons de 203 mm en deux tourelles doubles, 4 x 80 mm et 4 x 20mm.

Le garde cotes cuirassé thailandais Dombhuri, incendié lors de la bataille de Koh-Chang; l'Ahidéa gravement avarié était semblable.


- deux gardes cotes cuirassés plus anciens de 1 000 tonnes : Ratanakosindra et Sukhodaya entrés en service en 1925 et 1930, armés de 2 canons de 152mm et 4 x 76 mm.
- deux avisos récents : Makron et Tachkin de 1400 tonnes, entrés en service en 1937, armés de 4 canons de 120mm, 2 x 20mm et 4 tubes lance torpilles.
- 9 torpilleurs récents type Trat, construits en Italie, entrés en service de 1935 à 1937, les deux premiers de 340 tonnes et les sept autres de 430 tonnes, longueur 68 m, largeur 6,40 m, tirant d'eau 2,10 m, puissance 10 000 cv, vitesse 31 noeuds, 2 hélices, équipage 70 hommes, armés de 3 canons de 76 mm, sauf les deux premiers qui n'avaient que 2 canons de 76 mm; 2 x 20mm et 6 tubes lance torpilles,(4 tubes pour les deux premiers).

Le torpilleur thaïlandais N°11 Trat coulé à Khoh-Chang ; les torpilleurs N°32 Cholburi, et N°33 Songkla coulés également étaient semblables.


- 1 torpilleur ancien, acheté en Angleterre en 1920, le Pra Ruang ex Radiant britannique de 1917, armé de 3 canons de 102mm, 1 x 76mm, 2 x 20mm et 4 tubes lance torpilles.
- 3 petits torpilleurs de 110 tonnes construits au Japon en 1937, armés d'un canon de 75mm, 2 x 20 mm et 2 tubes lance torpilles.
- 4 sous marins de 370 tonnes en surface, entrés en service en 1937 et 1938, armés d'un 76mm et 4 tubes lance torpilles.
- 2 mouilleurs de mines de construction italienne de 400 tonnes, entrés en service en 1937, armés de 2 canons de 76mm et 2 x 20 mm. sans compter des vedettes lance torpilles, et des navires auxiliaires.


Déroulement des opérations :
Le capitaine de vaisseau Bérenger dirige le groupe occasionnel formé par le croiseur Lamotte-Picquet et les quatre avisos: Dumont d'Urville, Amiral Charner, Tahure et Marne. Les ordres donnés au capitaine de vaisseau Bérenger sont" Recherche et destruction des forces siamoises, à partir de Satahib, jusqu'à la frontière du Cambodge". Le 15 janvier, le Lamotte-Picquet parti faire le plein de carburant rejoint les avisos à Poulo- Condore, le groupe appareille à 21H, et se dirige vers le Golfe de Siam à 13,5 nœuds, vitesse maximum de route des avisos. Le 16 janvier, nos bâtiments font route dans le Golfe de Siam sans être aperçus. Dans l'après midi, une reconnaissance aérienne signale que la flotte thaïlandaise se réparti entre Satahib ou se trouvent: une canonnière cuirassée, 4 torpilleurs, 2 sous marins, 2 bâtiments légers, 3 vedettes rapides; et le mouillage de Koh Chang ou se trouvent: 1 garde cotes cuirassé, 3 torpilleurs. Compte tenu de la difficulté d'atteindre Satahib avant l'aube, le groupe de Koh Chang paraissant comprendre les unités les meilleures, le capitaine de vaisseau Bérenger décide de concentrer ses bâtiments dans l'attaque de la force siamoise de Koh- Chang.


Le 17 janvier, les navires français se séparent en trois groupes : Tahure et Marne entre Koh Chang et Koh Kra; Dumont d'Urville et Amiral Charner entre Koh Kra et Koh Klum, et le Lamotte-Picquet entre Koh Klum et les ilots de Koh Chan; chaque groupe rejoint son poste de tir déterminé. Un hydravion Loire 130 de reconnaissance survole le mouillage de Koh- Chang et constate que les deux garde cotes du type Dombhuri sont présents. Il essuie des tirs de DCA et rentre à sa base. Les navires siamois ouvrent le tir sur les bâtiments français, qui répondent en visant le départ des coups, Le Lamotte-Picquet attaque à 22 nœuds, et tire une salve de 155mm qui atteint le torpilleur portant le numéro 11, et lance une gerbe de torpilles à 6 h30 une des trois torpilles atteint le garde cotes Ahidea, les avisos tirent à 5 000 mètres, sur les torpilleurs portant les numéros 32 et 33 qui sont touchés, à 6 h48, les équipages évacuent les torpilleurs qui chavirent à 7 heures.


Un deuxième phase du combat met aux prises le Dombhuri et les navires français, le navire siamois se cache derrière les nombreux ile et ilots et évolue dans les hauts fonds, où il a l'avantage d'un plus faible tirant d'eau, le garde cote siamois évolue à 10 000 mètres à grande vitesse pour dérégler le tir du Lamotte-Picquet, celui ci le poursuit maintenant à 27 nœuds entre les ilots, la partie de cache cache continue; le Lamotte-Picquet revient vers les avisos, ils concentrent tous leur tir sur le Dombhuri, celui ci a maintenant sa passerelle incendiée et sa tourelle arrière ne peut plus tirer; le Lamotte-Picquet est à la limite des hauts fonds, ses hélices remuent la vase, il ne peut approcher davantage sans risquer de s'échouer, à 8 h05 les navires français se retirent; les attaques aériennes siamoises de représailles sont attendues; elles ont lieu entre 8 h 58 et 9 h 28, une bombe tombe à 5 mètres du Lamotte Picquet qui navigue alors à 25 nœuds alors que les avisos plus lents se retirent à 13 nœuds, la vigueur de la défense anti aérienne des batments français décourage les aviateurs siamois, qui abandonnent la partie; nos navires regagnent Saigon sans autres incidents.


Bilan : au cours de la première phase du combat, trois torpilleurs récents du type Trat ont été coulés; le N°11 Trat, N°32 Cholburi et le 33 Songkla, le garde cote Ahidea a reçu une des torpilles du Lamotte-Picquet, il s'est échoué pour ne pas chavirer, il sera renfloué et réparé par les japonais; parmi les torpilleurs coulés, seul le Trat pourra être renfloué par la suite, et remis en service.
Dans la 2éme phase le Dombhuri a été abandonné partiellement en feu, il a fini par chavirer, il sera également renfloué, mais sera inutilisable.


Nombre de coups tirés:
du coté français 454 de 155mm
509 de 138mm
54 de 100
280 de 75
6 torpilles lancées
le tir à été efficace
lors de la seconde phase le tir a été très gêné par les nombreux changements de route et les suspensions de feu imposés par la topographie d'iles et ilots qui coupaient la vue et derrière lesquels le Dombhuri se dérobait et les grandes variations de vitesse nécessaires pour garder l'ennemi dans le champ de tir.
C'est l'unique fois ou un de nos grands bâtiments a eu l'occasion de se servir de ses torpilles et mieux de mettre un coup au but.
du coté siamois
environ 100 de 203mm
les torpilleurs ont tirés avec leurs 76mm jusqu'à leur évacuation
le tir du Dombhuri était bon en direction mais trop court ou trop long, ce qui explique que les navires français n'ont reçu aucun coup au but.


Cette victoire incontestable est à mettre à l'actif du capitaine de vaisseau Bérenger, qui s'est révélé un excellent tacticien qui a choisi de concentrer son action sur Koh Chang et non de la disperser sur les deux sites possibles; la qualité et l'entrainement des équipages ont été payants ,mais aussi la chance,un poste de guet siamois ayant été détruit des les premiers tirs du Lamotte-Picquet ce qui à retardé l'intervention de l'aviation siamoise.


Toutefois des le 21 janvier 1941, le Japon imposait un cessez le feu sous la menace d'un ultimatum, auquel la faiblesse des forces françaises en Indochine laisse peu d'alternative.
Après de longues discussions, les diplomates français devaient accepter le 11 mars 1941, un compromis peu avantageux pour la France.


Sort des navires ayant participés à la bataille de Koh Chang:
Navires français :
- Lamotte-Picquet restera en Indochine tout au long de la guerre, la plupart du temps à l'arsenal de Saigon, en septembre 1941 ses machines donnant des signes de fatigue, il se fait caréner au Japon, et embarque des tubes de chaudières, mais à compter de 1942, il ne navigue plus, il n'a plus de mazout et ne peut etre ravitaillé, en 1944 il est mis en réserve, le 12 janvier 1945, un bombardement de la Task force 38 américaine, qui vise les occupants japonais atteint le Lamotte-Picquet désarmé dans la rivière Donnai pres de Saigon, celui ci chavire .
- Dumont d'Urville est le seul navire français présent à Koh Chang qui survivra à la guerre; il rejoint Diego Suarez le 24 avril 1941, il rallie ensuite Dakar et Casablanca, le 3 novembre 1941, il rentre à Toulon, il est en carénage à la Ciotat jusqu'en février 1942, il rallie les alliés à Dakar apres le débarquement d'Afrique du Nord, il est refondu à Charleston en avril 1944, il retourne en suite dans l'Océan Indien, il rentre à Toulon le 10 aout 1945, il est révisé jusqu'au 16 juillet 1946, puis retourne en Indochine, nouvelle révision à Lorient en mars 1950, puis retour en Indochine et en Océanie, en septembre 1956 il transporte le général de Gaulle de Nouméa à Poindimié, il est de plus en plus fréquemment avarié, et malgré des réparations à Uraga au Japon, il rentre en France définitivement en novembre 1957, placé en réserve, il est démoli à Brest en octobre 1958.
- Amiral Charner à fait toute sa carrière en extréme Orient de 1934 à 1945, c'était "l'oublié du bout du monde",de septembre à novembre 1941, il se rend à Diego Suarez, puis il revient en Indochine, le 9 mars 1945, les japonais attaque nos forces , l'Amiral Charner coincé par la marée basse est investi, et doit se saborder, l'équipage apres avoir tenté de s'échapper à travers le Mekong est rattrapé et fait prisonnier, tres peu en réchapperont.
- Tahure, escorte des convois le long des cotes d'Indochine, le 29 avril 1944, au large du cap Varella, le sous marin USS Flasher torpille le cargo Song Giang et son escorteur, le Tahure, touché dans une soute à munitions l'aviso se coupe en deux, et coule en moins d'une minute pres de 120 hommes, disparaissent avec le batiment.
- La Marne: bloquée à Saigon, à demi désarmée, est sabordée le 10 mars 1945, dans la rivière de Cantho lors du coup de force japonais. Son épave sera démolie en juin 1957.

Navires thailandais :
- Ahidea, après avoir reçu une torpille du Lamotte-picquet s'est échoué, pour éviter de chavirer, il sera renfloué en aout 1941, et réparé par les japonais, remis en service, il sera définitivement perdu le 3 juillet 1951, lors d'une tentative de coup d'état.
- Dombhuri, en feu a chaviré, il a été renfloué par la suite par les japonais, mais ses dégats étaient tels, qu'il n'a pu etre remis en service, et sera utilisé par la suite comme ponton batiment école à quai; en 1967 il sera démoli et une partie, passerelle et tourelle avant étant conservées comme mémorial à Bangkok.
- Trat : coulé sera lui aussi renfloué par les japonais, remis en service, il sera démoli en 1975.
- Cholburi : définitivement perdu.
- Songkla : définitivement perdu.


Alain (photos collection Alain V)
(Plusieurs variantes existant quant à l'écriture des noms des bâtiments thaïlandais; j'ai utilisée la dénomination la plus souvant admise ).

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