25 novembre 2011

Saisies de navires français pendant la guerre italo-turque (1911-1912)


Le 28 septembre 1911, l'Italie déclare la guerre à l'empire ottoman. Ce conflit a pour origine l'entrave éprouvée par des commerçants italiens à établir des relations avec la Libye. Devant le refus ottoman de résoudre ce problème, le gouvernement italien décide d'employer la force. Rapidement, les troupes italiennes envoyées en Libye, commandées par Carlo Caneva et largement supérieures aux troupes turques d'Ismaïl Enver à la fois par le nombre et la technologie, s'emparent de la ville de Tripoli et occupent la côte.

Ce serait au cours de ce conflit qu'aurait eu lieu, le 1er novembre 1911, le premier "bombardement aérien" de l'histoire lorsque le lieutenant Giulio Gavotti de l'aviation italienne lâcha des grenades sur les forces turques depuis les airs. Sur le plan naval, c'est la bataille de Bataille de Kunfuda (7 janvier 1912) qui est généralement retenue comme la plus importante du conflit.

La paix est enfin signée à Ouchy (près de Lausanne) le 18 octobre 1912. L'Italie obtient les provinces de la Tripolitaine, de la Cyrénaïque et des îles du Dodécanèse dont la principale, Rhodes.

La géographie du conflit lui confère un aspect maritime et, malgré la neutralité de la France, trois navires sous pavillon français furent impliqués dans ce conflit. Les deux premières affaires donnèrent lieu à un jugement du tribunal arbitral de La Haye.

L'affaire du Manouba (Compagnie de Navigation Mixte)
Créée en 1850, la Compagnie de Navigation Mixte a comme fonction principale les liaisons reliant la France à l'Afrique du Nord en profitant de la vague de colonisation en cours.

En 1912, elle place Manouba, récemment acquis, sur sa ligne Marseille - Tunis. Construit à Greenock en 1890 pour la Mala Real Portugueza, il fut d'abord Rei di Portugal avant de devenir Napolitan Prince (Prince Line). Jaugeant 3 231 TJB, il emmène 160 passagers.

Le 18 janvier 1912, vers 8 heures du matin, le navire est arrêté au large de l'île San Pietro par le torpilleur italien Agordat. Voyons les faits tels qu'ils sont relatés dans l'aperçu du tribunal arbitral de La Haye qui sera saisi par la France. "Le Gouvernement ottoman demanda, le 5 janvier 1912, au Gouvernement français de faciliter le passage par Tunis d'une Mission du Croissant-Rouge ottoman désirant se rendre au théâtre de la guerre. Cette demande fut acceptée par le Gouvernement français. Toutefois, l'ambassadeur d'Italie ayant protesté contre la concession de cette faveur, le Gouvernement français lui donna l'assurance que les sujets ottomans en question étaient des membres de la Mission du Croissant-Rouge, et ordonna aux autorités de Tunis de s'assurer de ce fait, avant de laisser passer lesdits sujets ottomans. L'ambassadeur d'Italie fut satisfait de ce renseignement, ainsi que des mesures prises, et il envoya une communication à cet effet à son Gouvernement. Cependant, avant que cette communication fût arrivée à destination, le Manouba, navire français transportant lesdits sujets ottomans, fut saisi le 18 janvier 1912, par un vaisseau de guerre italien, et conduit à Cagliari, où il arriva le même jour. Les italiens, maintenant que ces sujets ottomans portaient des armes et de l'argent à destination des forces ottomanes à Tripoli, exigèrent qu'ils leur fussent livrés, et ils saisirent le navire, sur le refus du capitaine du Manouba de faire suite à la sommation. L'ambassade de France fut informée de ce qui s'était passé, et après avoir reçu l'assurance de la part des italiens que les passagers ottomans étaient des militaires, instruisit le vice-consul français à Cagliari de remettre ces passagers aux autorités italiennes."

Le vice-consul de France ayant accepté le 19 janvier de remettre ces passagers aux mains des autorités italiennes, le Manouba est relâché et peut reprendre sa route.

Par la suite, une note est établie le 26 janvier 1912 par l'ambassadeur de France et le ministre des Affaires étrangères d'Italie qui après avoir examiné "… dans l'esprit le plus cordial les circonstances qui ont précédé et suivi l'arrêt et la visite par un croiseur italien de deux vapeurs français se rendant de Marseille à Tunis, ont été heureux de constater, d'un commun accord et avant toute autre considération, qu'il n'en résultait de la part d'aucun des deux pays aucune intention contraire aux sentiments de sincère et constante amitié qui les unissent." Le contenu de cette note nous donne des précisions sur le sort des officiers turcs : "… Dans le but de rétablir le statu quo ante en ce qui concerne les personnes, les passagers ottomans saisis, ces derniers seront remis au consul de France à Cagliari, pour être reconduits par ses soins à leur lieu d'embarquement, sous la responsabilité du gouvernement français, qui prendra les mesures nécessaires pour empêcher que les passagers ottomans n'appartenant pas au « Croissant Rouge », mais à des corps combattants, se rendent d'un port français en Tunisie ou sur le théâtre des opérations militaires."

Le tribunal, saisi par les deux parties, jugea que la marine italienne ne pouvait légalement saisir le vapeur français mais que le gouvernement italien pouvait emprisonner les passagers turcs.

L'affaire du Carthage (Compagnie Générale Transatlantique)
Lancé à Newcastle pour la Cgt et mis en service en 1910 au départ de Marseille sur les lignes d'Afrique du Nord de la célèbre compagnie, ce beau navire (5 275 TJB) connut des débuts de carrière difficiles en raison de nombreux problèmes mécaniques.


Le 16 janvier 1912, à 6 heures 30, le paquebot se trouve alors à 17 milles des côtes de la Sardaigne en route vers Tunis. Il est alors arraisonné par le torpilleur Agordat de la marine royale italienne. Son inspection révèle la présence à bord d'un avion. Bien que celui-ci soit destiné à participer à un meeting aérien qui doit avoir lieu prochainement à Tunis, les officiers italiens le considèrent comme "contrebande de guerre". Devant l'impossibilité de le transborder à leur bord, le paquebot est saisi et emmené à Cagliari. Il y restera jusqu'au 20 janvier.
Le tribunal arbitral de La Haye, saisi par le gouvernement français, jugera le 6 mai 1913 que "les autorités navales italiennes n'étaient pas en droit de procéder… à la saisie… du vapeur postal" et condamnera le gouvernement royal italien.

À l'issue des ces deux saisies les navires furent donc libérés et retrouvèrent leurs fonctions habituelles au sein de leurs compagnies. Par la suite, Manouba sera vendu à la démolition en 1929. Le paquebot Carthage sera coulé le 4 juillet 1915 lors des opérations des Dardanelles.

Le cas du Tavignano (Compagnie de Navigation Mixte)
Enfin, citons l'affaire du Tavignano de la Compagnie de Navigation Mixte. Ce petit cargo (à peine plus de 47 mètres de long, 290 TJB), construit en 1904, est entré à la compagnie en 1906. Il est saisi par les Italiens le 19 janvier 1912 après avoir été accusé de transporter des avions destinés aux forces turques. Il est relâché ultérieurement après négociations. Cette affaire sera réglée par voie diplomatique et ne donnera donc pas lieu à une sentence de la cour de La Haye, contrairement aux deux précédentes.




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